architectes sans modération


Que recèle donc le phénomène «Fala Atelier» ? Des esprits et des estomacs gourmands, nourris d’enseignements internationaux bien diversifiés : la Faculdade de Arquitectura de Porto, l’ETH de Zurich et l’université de Tokyo. Tous férus d’architecture, volontiers en désaccord mais imprégnés d’influences communes et disparates, les membres de Fala Atelier semblent avoir digéré joyeusement et sans angoisse l’héritage moderne et postmoderne.
Après s’être rencontrés à Bâle chez Harry Gugger puis recroisés au Japon à l’atelier Bow Wow, chez Toyo Ito ou chez Sanaa, Filipe Magalhães, Ana Luisa Soares et Ahmed Belkhodja fondent Fala Atelier – acronyme de leurs prénoms – à Porto en 2012. Ils sortent tout juste de leur expérience japonaise alors vécue comme une aventure décisive pour la construction de leur pratique, laquelle est si sui- vie en Europe, mais peu réputée et plutôt mal vue au Portugal où s’exerce toujours la domination des deux maîtres Pritzker de l’école de Porto.


AIRBNBSATION DE LA VILLE
Dans des espaces profonds donnant sur un petit jardin arrière, dans un immeuble bas transformé en atelier-maison, l’agence est installée dans le quartier de Lapa à Porto, pas si loin de la Casa da Música. Elle a été créée en pleine transformation urbaine et conjoncturelle de la ville : augmentation accrue du tourisme, protection du centre-ville par la labellisation Unesco, retour à la spéculation immobilière motivée par un changement législatif, accroissement des investissements étrangers entraînés par la crise. La conjonction de ces facteurs conduit à une certaine reprise économique mais également à la gentrification accélérée de la ville de Porto, comme de Lisbonne.
Dans des espaces profonds donnant sur un petit jardin arrière, dans un immeuble bas transformé en atelier-maison, l’agence est installée dans le quartier de Lapa à Porto, pas si loin de la Casa da Música. Elle a été créée en pleine transformation urbaine et conjoncturelle de la ville : augmentation accrue du tourisme, protection du centre-ville par la labellisation Unesco, retour à la spéculation immobilière motivée par un changement législatif, accroissement des investissements étrangers entraînés par la crise. La conjonction de ces facteurs conduit à une certaine reprise économique mais également à la gentrification accélérée de la ville de Porto, comme de Lisbonne.
Dans ce contexte très spécifique, Fala Atelier opère essentiellement dans le cadre de petits projets domestiques en site existant. L’agence travaille ainsi pour la transformation invisible de la ville, sa airbnbsation, pour la réactivation de ses rez-de-chaussée, la métamorphose de ses anciens garages, la mutation de ses maisons bourgeoises en studios, la reconversion de ses ilhas (îlots dédiés à la classe ouvrière) en résidences étudiantes. Dans chaque situation, les architectes expriment le même sincère acharnement à rêver l’architecture, à instiller de nouvelles manières de vivre hors de tout standard, et à retourner la ville, « gelée », surprotégée, en inventant des façades arrière que le travail de modénature métamorphose en façade principale. Celles-ci entretiennent d’ailleurs une intéressante parenté avec celles des bâtiments des années 1960-1970 qu’affectionne Fala, méprisées par la ville et la population, et pourtant brillamment construites par ses artisans.
Et si certains clients ne se déplaceront même pas pour voir les projets qu’ils commanditent à Fala Atelier, si d’autres propriétaires les revendront aussitôt, si certains les loueront, d’autres, enfin, y habiteront. Les architectes acceptent de produire de la valeur – tant culturelle que commerciale – sans en bénéficier en retour. Ils répondent tant aux aspirations capitalistes qu’à la demande de clients de classe inférieure ou moyenne, en pratiquant des prix bas, en cumulant une masse critique de projets (une vingtaine par an) et en passant un temps très important sur les chantiers, en suivi, comme après leur livraison.


LIVING IN A COLLAGE
Alors que l’architecture constitue rarement une attente de leurs commandes, le contexte d’intervention offre cependant pour Fala des conditions stimulantes ainsi qu’une forme de liberté conceptuelle très inattendue. Car agir en architecte dans un contexte si inconfortable et indifférent oblige à envisager le projet autrement. Plus efficacement, d’une part, car les commandes sont peu rémunératrices, et plus radicalement, d’autre part, afin de défendre explicitement l’idée de projet. À partir de cette double nécessité, Fala a développé un outil de conception, de production et de projection caractéristique : le collage. Plurivoque et instinctif, le collage correspond à une « impression productive », expliquent les architectes, un acte de soudaineté et d’émanation qui permet de s’éloigner de toute tentative de réalisme, d’absorber facilement les changements en cours de processus et, surtout, de protéger l’idée même de projet. Acte contigu à l’intention architecturale, le collage permet d’en poser les fondements en termes de surfaces, de textures, de perception, de division et d’atmosphère. Il est une manière de penser la relation et la complexité, de mettre ensemble les éléments sans les soumettre les uns aux autres, de construire de nouveaux modes de présence, de risquer des typologies. Toujours associée à la production de plans, cette approche bidimensionnelle de l’architecture par le collage, avancée par les architectes pour des raisons très pragmatiques au commencement de leur activité, leur permet aujourd’hui de saisir combien elle influe sur leur mode de conception qu’ils qualifient de « très plat ». Selon eux, un bâtiment doit incarner la projection d’un projet. Et c’est au réel de se « rapprocher » du collage et non l’inverse. Toujours saisies par le même photographe – Ricardo Loureiro –, les prises de vues de leurs réalisations sont d’ailleurs lisibles comme des collages...

COMPOSITION/NON-COMPOSITION
Si Fala Atelier produit 50 à 100 collages par jour, chacun appartient à un processus propre et relève d’une recherche de tension perpétuelle entre composition et non-composition. Cette quête d’équilibre instable repose sur certaines récurrences dans le travail des surfaces : usage du marbre, de textures brillantes ou mates, de rayures, d’aplats de couleur – souvent rose et bleu –, de pavés de verre, de terrazzo, de panneaux miroirs, de cercles en plein ou en découpe de paroi. Le motif, quant à lui, est souvent utilisé pour activer et structurer l’espace, et pour introduire l’idée de détail, assez poussée dans le travail de l’atelier.